Votre dernier ouvrage s’intitule « On ne fait pas l’amour, c’est l’amour qui nous fait ». Que voulez-vous dire par là ?
Ce livre développe la dimension sacrée de la sexualité. C’est une autre forme de sexualité, qui n’est pas supérieure aux autres, mais qui permet de sortir d’un rapport à la sexualité qui serait essentiellement « accumulatif ». Ce n’est en effet pas parce que l’on fait souvent l’amour qu’on a une vie sexuelle heureuse. Dans ma vie de praticien, j’ai rencontré beaucoup de patients ou patientes qui avaient une activité sexuelle très dense. Pourtant, ils n’étaient pas forcément heureux dans leur vie relationnelle, émotionnelle et sexuelle. L’idée de ce livre est de revendiquer qu’il est possible d’avoir une sexualité qui soit basée sur la rencontre émotionnelle avec l’autre, sur l’amour. Ce type de sexualité, qu’on appelle sexualité sacrée, est une sexualité qui est axée sur le qualitatif plutôt que sur le quantitatif. Donc, l’idée de ce titre, c’est de montrer qu’il est possible de sortir de la recherche à tout prix d’une sexualité qui « s’additionne » pour aller vers une sexualité où l’on s’ouvre. On s’ouvre à des sensations qui peuvent être des sensations d’extase, de contemplation, de méditation.
Quelles sont les principales entraves à une sexualité de couple épanouie ?
C’est en premier lieu la recherche du quantitatif. Une sexualité fréquente ne signifie en effet pas une sexualité heureuse. Ensuite, il y a cette obsession de beaucoup de personnes au sujet de la pénétration. C’est quelque chose qui fait beaucoup de dégâts. La pénétration entraîne souvent énormément de stress chez les hommes. Cela se concrétise par des difficultés d’érection ou d’éjaculation. Chez les femmes, cela va se traduire par des problèmes de douleurs à la pénétration. Or on peut avoir des rapports sexuels satisfaisants sans pénétration. Je ne dis pas qu’il ne faut pas de pénétration, bien entendu, mais l’idée est de revenir à une sexualité qui prenne son temps.
Dans la sexualité de couple, prendre son temps serait une des clefs pour retrouver le désir ?
Oui l’idée est de mettre l’accent sur la lenteur. Certains pensent qu’avoir une sexualité frénétique, une sexualité où on se précipite sur l’autre, c’est le gage d’une bonne sexualité. C’est pourtant intéressant de mettre en pratique une sexualité qui soit plus lente, plus consciente, qui prenne plus son temps. Lors de la relation sexuelle, on ajoute des massages, on se regarde, on contemple le corps de l’autre. Ce sont des choses très simples finalement. Pendant trente ans, j’ai suivi des couples en consultation. La plupart des couples qui venaient me voir pour une absence de désir venaient parce que, justement, ils avaient un peu perdu ce rapport simple et direct à la sexualité. Au bout d’un moment, il y a quelque chose qui se banalise dans la sexualité du couple. Or en prenant son temps, en ralentissant les gestes, en redécouvrant l’autre, il est possible de retrouver de l’inattendu, de la surprise et du mystère dans la sexualité. Ce sont ces éléments qui sont, à mon sens, fondamentaux pour une sexualité qu’on appelle sacrée.
La sexualité sacrée est-elle faite pour tous les couples ?
Oui mais je ne dis pas qu’un type de sexualité est mieux que l’autre. Ce que je propose, notamment pour les personnes qui ne sont pas satisfaites de leur sexualité ou les couples qui sont en absence de désir, c’est d’essayer autre chose. La sexualité sacrée permet de se découvrir et de découvrir l’autre d’une façon différente.
Quelles sont les étapes pour passer d’une sexualité de couple conventionnelle à une sexualité sacrée ?
La première chose à faire est un travail sur soi. Beaucoup de personnes souffrent de dépendance affective. Elles attendent que ce soit l’autre qui les désire et les fasse exister. Il s’agit donc de réfléchir à la façon dont on vit la relation, sans demander à l’autre d’être son thérapeute, sans espérer que l’autre va réparer nos propres blessures. Une fois ce travail fait, la rencontre avec l’autre se fait de façon plus tranquille. La sexualité n’est plus un espace de vérification que l’autre vous aime.
Est-ce que le cheminement est différent pour les femmes et pour les hommes ?
Pour les hommes, il s’agit de comprendre que leur virilité ne s’exprime pas forcément par l’érection et la pénétration. Il est possible d’être viril tout en étant tendre et vulnérable. De leur côté, les femmes ont à accepter que leur sexualité ne soit pas simplement une sexualité de soumission ou une sexualité passive. Elles peuvent être très actives dans la sexualité, voire même montrer des aspects « sauvages », sans pour autant être perçues comme des « salopes » ou des femmes qui aiment trop le sexe. Je pense que la rencontre peut se faire entre une femme plus sauvage dans sa sexualité et un homme plus vulnérable dans sa sexualité.
Vous avez consacré un ouvrage aux bienfaits de l’orgasme et notamment à sa dimension thérapeutique. Cependant dans la sexualité sacrée, l’orgasme n’est pas un objectif à rechercher. Finalement, quelle doit être la place de l’orgasme ?
Ce que j’ai écrit sur l’orgasme ne va pas à l’encontre de ce qui est préconisé dans la sexualité sacrée. L’orgasme doit rester un moment de surprise et d’inattendu. Il n’est effectivement pas nécessaire de chercher à tout prix l’orgasme. Sinon, on va entrer dans une espèce de dictature orgasmique qui ne sert ni les hommes et ni les femmes. L’orgasme a une fonction de libération. Mais ce n’est pas parce qu’on va le rechercher qu’on va forcément le trouver. La question est de savoir ce que l’orgasme dit de la relation, ce qu’il dit de chaque individu. Et il faut également prendre en compte qu’il y a plusieurs formes d’orgasme. Il y a l’orgasme du sommet et dans la sexualité sacrée l’orgasme de la vallée. C’est un orgasme doux, lent, profond, qui dure dans le temps, n’est pas accessible à ceux qui veulent à tout prix atteindre l’Himalaya orgasmique. L’orgasme s’inscrit dans la relation. C’est la qualité de la relation qui prédomine. S’il y a un orgasme, cela dit quelque chose, mais s’il n’y en a pas, ce n’est pas grave. Dans un cas comme dans l’autre, la relation à soi-même et à l’autre doit être féconde et profonde.
Interview du 14 juin 2021