Quand la vie de couple devient colocation
Que faire quand on l’impression que la vie de couple devient colocation ? A l’origine de cette pensée, il y a souvent un sentiment de perte de connexion. La déconnexion se ressent à tous les points de vue : les longs contacts visuels se font rares, les gestes d’affection s’amenuisent, les discussions ne portent plus que sur l’intendance…
Que faire quand la vie de couple devient colocation ?
A force de déconnexion, le fossé se creuse et il est de plus en plus difficile de renouer la relation. A ce stade, c’est souvent un sentiment d’impuissance et de tristesse qui gagne les partenaires du couple. Finalement, en l’absence de solution, les émotions sont refoulées. Chacun essaie de se persuader que cela n’a pas d’importance. L’un et l’autre cherche des dérivatifs dans des activités distractives. Comment alors renouer le fil ?
Selon le Dr Sue Johnson, cette situation de déconnexion est le résultat direct de la façon dont nous gérons nos émotions. Or notre manière de gérer nos émotions est largement inconsciente. Mais « quand nous prenons conscience que [ces moyens de gérer nos émotions] nous enferment dans une position d’échec avec l’être aimé, il est possible d’en changer », nous dit-elle dans son ouvrage Serre-moi fort. En effet, elle considère que ces mécanismes de gestion des émotions « ne constituent pas une part indélébile de notre personnalité et ne nécessitent pas des années de thérapie pour les remodeler. » Et elle conclut : « Les nouveaux départs sont rendus possibles dès lors que l’on met le doigt sur les mécanismes qui nous enferment ». Quels sont donc ces mécanismes ?
La thérapie centrée sur les émotions
Le Dr Sue Johnson est une psychologue clinicienne spécialisée dans les questions de couple. Elle enseigne la psychologie clinique à l’université d’Ottawa au Canada. Elle a développé une nouvelle thérapie de couple qu’elle a appelée « Emotionally Focused Therapy » (EFT), c’est-à-dire en français la « thérapie centrée sur les émotions ».
Cette approche prend le contre-pied de certaines thérapies de couple qui considèrent la relation entre les conjoints comme le résultat d’une forme rationnelle de négociation. Dans cette négociation, il s’agirait d’apprendre à communiquer ses besoins de façon non violente et à se disputer dans les règles. Or selon Sue Johnson, les relations amoureuses ne sont pas un marchandage. « Les relations amoureuses ne sont qu’un lien émotionnel. » estime-t-elle. Et elle poursuit : « Elles ne reposent en effet que sur un besoin naturel d’une connexion émotionnelle rassurante. »
« L’amour romantique ne repose que sur l’attachement et le lien romantique ». Dr Sue Johnson
L’apport de la théorie de l’attachement lorsque la vie de couple devient colocation
Les travaux du Dr Sue Johnson s’appuient sur la théorie de l’attachement établie par le psychiatre britannique John Bowlby. Dans les années d’après-guerre, John Bowlby a étudié la façon dont les jeunes enfants réagissent à la séparation avec leur mère. Il a établi que la qualité de l’attachement de l’enfant aux personnes aimées dans ses premières années et la carence émotionnelle qu’il peut éprouver vont façonner le développement de sa personnalité et à la manière habituelle qu’il aura de se lier aux autres dans sa vie adulte.
Dans un premier temps, cette théorie a d’abord été décriée car elle venait à l’encontre des idées sociales établies à cette époque, et encore très souvent aujourd’hui, à savoir qu’un adulte se doit d’être avant tout une personne indépendante et autonome. En tant qu’adulte, être dépendant de quelqu’un est souvent jugé de façon négative. Or John Bowlby valorisait ce lien de dépendance entre adulte. Selon lui, la capacité à se tourner vers les autres en cas de besoin de réconfort émotionnel était un signe et une source de force. Il parlait alors d’un lien de « dépendance réussie ».
Le sentiment d’attachement est primordial pour une relation amoureuse
A la suite des travaux de John Bowlby, l’attachement entre adultes a fait l’objet de nombreuses études. La conclusion générale qui en ressort est la suivante : un sentiment puissant d’attachement entre les partenaires d’un couple est primordial pour une relation amoureuse positive et représente une source de motivation essentielle pour alimenter cette relation. Ainsi les études ont montré que lorsque deux partenaires se sentent en sécurité dans leur relation, ils réussissent davantage à chercher de l’aide et à en offrir. De plus, ils sont moins enclins à l’agressivité lors de disputes. Enfin, ils ont une meilleure estime d’eux-mêmes. Ces mêmes études montrent que, de façon qui semble à première vue paradoxale, plus on se sent dépendant émotionnellement, plus on devient indépendant dans ses actions.
Inversement, lorsqu’un partenaire devient émotionnellement indisponible, l’autre partenaire se sent perdu, seul et sans motivation. Les émotions prennent le dessus, en particulier la colère, la tristesse et surtout, même si c’est difficile à se l’avouer, la peur. En effet « la perte de connexion avec l’être aimé compromet notre sentiment de sécurité » affirme le Dr Sue Johnson. Elle constate que cette peur suscite deux types de réaction : soit nous devenons plus exigeants afin d’être rassurés, soit nous nous mettons en retrait afin de nous protéger. Ces deux schémas de réaction, parce qu’ils nous sont largement inconscients, fonctionnent très souvent comme des automatismes. Or ces automatismes ont une conséquence désastreuse. En faisant grandir le sentiment d’insécurité dans la relation, ils génèrent en effet des cercles vicieux d’interactions dans le couple.
Les cercles d’interaction pernicieux qui explique que la vie de couple devient colocation
Le Dr Sue Johnson a identifié trois principaux cercles d’interaction pernicieux.
1. Le combat de boxe (attaque mutuelle)
Le premier cercle vicieux d’interaction qu’identifie Sue Johnson est celui de l’attaque mutuelle. Elle le nomme « à qui la faute ? ». En effet, dans ce schéma d’interaction, l’objectif de chacun est de démontrer son bon droit et la responsabilité de l’autre dans le problème conjugal. Les disputes sont fréquentes pendant lesquelles les reproches et les accusions mutuelles fusent. Chacun se rejette la faute dans les difficultés rencontrées par le couple. Le reproche principal est le manque d’attention. Au final, la relation est jugée par chacun comme insatisfaisante.
Dans ce schéma d’interaction, la violence monte en escalade car plus l’autre attaque, plus j’attaque en retour. Les disputes sont de plus en plus blessantes. Or estime Sue Johnson, nous ne prêtons pas suffisamment attention au schéma d’action-réaction que se joue dans notre couple. Si l’on reproche à l’autre de nous avoir marché sur le pied, nous ne prenons pas conscience que c’est parce que nous dansons ensemble. Et surtout, nous ne prêtons pas suffisamment attention au besoin fondamental de connexion et à celui d’être rassuré dans notre lien d’attachement. La conséquence en est la multitude d’attaques en réalité qui ne cherchent qu’à le rétablir.
2. La course poursuite (attaque-retrait)
Le deuxième cercle vicieux d’interaction qu’identifie Sue Johnson est celui de l’attaque-retrait. Elle le nomme la « Valse des protestations ». En effeet, dans ce schéma un partenaire émet sans cesse des critiques et l’autre les réfute. Le mécanisme des disputes est toujours le même. Dans un premier temps celui ou celle qui se sent exaspéré par le manque d’implication de son partenaire lui formule des reproches. L’autre se met alors sur la défensive. Cette réaction incite le premier à amplifier ses reproches. Le second se met encore davantage en retrait. Le premier devient agressif. Le second se mure définitivement dans le silence. Dans cette course poursuite, l’un des partenaires est en demande et l’autre est distant, protestant en silence contre la critique implicite.
« De tels couples se trouvent dans un état de carence émotionnelle » constate Sue Johnson. Elle détaille le mécanisme qui alimente cette relation blessante : « Sans réponse émotionnelle de la part de l’être aimé, nous sommes programmés pour protester ». En effet, dans une relation amoureuse, une réponse – même mauvaise – est meilleure que l’absence de réponse.
Le partenaire qui est en demande se sent abandonné et estime ne pas pouvoir compter sur l’autre dans les moments de besoin. Il espère plus d’intimité et se sent en colère face à l’absence de réponse. « J’essaie d’obtenir une réaction », « Il est si distant », « Je me sens seule » « Je ne sais pas comment l’atteindre », « Je ne suis pas sûr de compter pour elle », se dit-il. C’est ce partenaire qui fait le constat que la vie de couple devient colocation.
De son côté, le partenaire qui se met à distance est lui habité par un sentiment d’échec et de perte de confiance. Il se sent jugé et impuissant. Il nie les problèmes et le besoin de connexion. « Je ne sais pas ce que je ressens », « D’après lui, je fais toujours tout de travers », « Je ne sais pas de quoi elle parle », « Je me sens nul dans cette relation » se dit-il.
3. La centrifugeuse (retrait-retrait), ou comment expliquer ce sentiment que la vie de couple devient colocation
Le troisième cercle vicieux d’interaction qu’identifie le Dr Sue Johnson est celui du retrait-retrait. Elle le nomme la « Fuite en avant ». En effet, dans ce schéma, aucun des partenaires ne semble plus investi dans la relation. Même si en façade la relation est polie, la tension est palpable et la souffrance aussi. Chaque partenaire s’est enfermé dans un « mode de défense glacial » recouvert de déni. Chacun prétend ne rien ressentir et n’avoir besoin de rien.
Cette étape fait souvent suite à l’étape de la « Valse des protestations ». Le partenaire qui était en demande finit par se décourager. Après d’incessantes requêtes et protestations, il finit par jeter l’éponge et se mure dans le silence. A ce stade, la relation amoureuse est terminée constate Sue Johnson. Il n’y a plus de connexion émotionnelle. Plus personne ne cherche à atteindre l’autre, plus personne n’est prêt à prendre des risques.
Un sentiment d’impuissance s’abat. Les partenaires sont convaincus d’être eux-mêmes la cause des difficultés, convaincus de la responsabilité de leurs propres imperfections. Cette fois-ci, ils ont tous les deux le sentiment que la vie de couple devient colocation.
Quand la vie de couple devient colocation, comment en sortir ?
La première action est de prendre conscience du besoin d’attachement. Ici, le problème majeur est bien souvent l’idée selon laquelle un adulte mature ne devrait pas avoir besoin de connexion émotionnelle. Cela a pour conséquences des demandes ambiguës, tel que de demander « pourquoi tu ne t’exprimes pas plus ? », plutôt que d’exprimer ouvertement son besoin de connexion amoureuse.
La thérapie centrée sur les émotions recommande à chacun de reconnaître et d’admettre son attachement émotionnel et sa dépendance à son partenaire. Cette thérapie « se concentre sur la création et le renforcement de cet attachement émotionnel entre les partenaires en identifiant et en transformant les moments clés qui favorisent la relation amoureuse ».
L’enjeu majeur est d’affirmer son besoin de connexion et d’entendre les demandes de connexion de son partenaire. Le point clé n’est pas de gérer les disputes ou le besoin de contrôle, mais de prêt attention à la distance émotionnelle.
Prendre soin des zones d’hypersensibilité
Repérer les zones d’hypersensibilité est la deuxième action à entreprendre. Ces zones d’hypersensibilité sont des points sensibles qui nous font perdre notre équilibre émotionnel. Ils sont le résultat de nos relations présentes ou passées au cours desquelles notre besoin d’attachement a été négligé. On peut avoir plusieurs points sensibles mais un seul suffit pour entraîner le couple dans une spirale négative.
Bien souvent nous n’avons pas conscience de ces points sensibles. Nous en voyons cependant les effets lorsqu’un sentiment de colère nous envahit ou que nous ressentons le besoin de nous replier sur nous-mêmes. Dans un couple, « les zones sensibles de l’un et de l’autre finissent toujours inévitablement par rentrer en friction. » estime Sue Johnson. Identifier nos propres zones sensibles, mais également celles de notre partenaire, est essentiel pour éviter de les heurter.
Quand on a le sentiment que la vie de couple devient colocation, il est essentiel d’identifier les cercles vicieux
La troisième action à entreprendre est d’identifier les cercles vicieux d’interactions que se mettent en place dans notre couple et de les arrêter dès les premiers signes. Cela nécessite aussi d’accepter ses émotions et de reconnaître l’impact de nos émotions sur notre partenaire. La colère génère la colère ou bien le repli chez notre partenaire par exemple. Dans le même sens, il s’agit de s’interroger sur les émotions de l’autre. Quelle en est l’origine ? Enfin partager ses émotions les plus profondes est une étape indispensable. Même si c’est une étape difficile que de se découvrir, c’est ce qui permet l’intimité de la relation.
En définitive quand la vie de couple devient colocation, se recentrer sur ses émotions, comme le suggère l’appellation de la thérapie centrée sur les émotions, est central pour inverser la situation.
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Crédits photo : Alex Green, Ron Lach, Ekaterina Bolov (Pexels)